Entre sens de la vitesse et risque de la précipitation.

Jeudi soir, au Portobello, nous étions nombreux à considérer la Senary Release party #1 comme le premier événement innovant de cette rentrée musicale. Derrière Senary il y a quelques noms d’artistes locaux à la carrière déjà riche pour certains, Vertuoze et Aeven en tête, qui, à eux deux, animent depuis plus de quatre ans une partie de la scène electro régionale. On était donc curieux et impatient de découvrir cette nouvelle équipe qui, de la production à la scène, entend bien secouer le petit monde de la nuit electro caennaise. Au début du mois, un EP (sur Senary Records) tient lieu de baptême. Six titres aguicheurs, qui mettent l’eau à la bouche et qui témoignent d’une créativité autour d’un esprit techno-acid maîtrisé. Du travail pro, sans aucun doute possible avec une belle logique de label. Ca monte dans les tours avec parfois ( comme avec A222 et son They told me to ) une petite boucle obsédante qui construit toute la piste. Bref si le ramage  (la Party) se rapporte au plumage du EP, ça risque de “déménager” avec fracas. 

Les artistes de Senary entendent bien construire un univers complet et c’est avec  scénographie, video et fumigène (une quasi-première pour les soirées techno du Portobello) qu’ils investissent les lieux. Les moyens sont modestes (le label est jeune) mais cet effort produit, une fois sur place, son petit effet avec ce grand “peigne” à cinq dents qui sépare le public des artistes et qui sert aussi de support à une chenille-led commandée à distance par un Vertuoze autoproclamé master of the lights. Au fond de la scène, dans un panoramique tout entier plongé dans des teintes rouge sombre, on assiste à des scènes lunaires en phase avec le décollage promis par la communication de la soirée : une navette spatiale en route vers quelle planète ? 

Vers onze heures du soir, la salle, encore modeste, s’agite poliment autour d’un B2B entre Skinzag et Aeven. Après l’heureuse surprise de la “déco”, je retombe assez vite dans une sorte de malaise : la salle est-elle trop petite pour une musique qui flirte avec un certain esprit warehouse ? Pour le dire plus simplement encore, je ressens comme une coupure entre les deux larrons derrière les consoles-platines, qui s’amusent comme des petits fous et une salle qui rêve peut-être d’un warm-up un peu moins égoïste. On pourrait discuter des heures sur le bien-fondé de tel ou tel “track”, là n’est pas vraiment la question mais bien plus dans une certaine cohérence entre l’offre et la demande. D’un côté, une équipe de jeunes artistes chauffés à blanc par l’urgence de cette première soirée, de l’autre des aficionados, certes, mais aussi un public de noctambules dans un bar à musique, vers 11h du soir et non pas dans un entrepôt berlino-parisien. Si on souhaite réellement accorder à cette forme d’expression musicale un caractère artistique, on doit alors prendre en compte certaines contraintes, après tout qui songerait à écouter un trio de Schubert sur les quais bondés de la gare Saint Lazare ? 

Au fil de la soirée, l’esprit généreux, mais tout de même assez brouillon, du Senary crew se poursuit, on passe d’un B2B à un B3B, puis un B4B ( je ne pense pas que ces deux derniers termes existent ?). A 222 impose une signature à l’écho percussif plus soigné, Vertuoze se glisse entre deux tracks pour balancer un peu de son univers acid-techno et Jeopardize vient emballer le tout avec sa touche “house” plus ou moins assumée dans cet univers qui dépasse allègrement les 120 bpm “réglementaires”. 

Comme à son habitude, la salle est pleine vers une heures de matin, l’heure pour moi de m’éclipser (je reste dans l’univers astronomique), plus que jamais rongé par l’amitié et le respect profond que j’éprouve pour cette belle et dynamique équipe et la nécessité que j’ai de comprendre pourquoi la force de gravité du Portobello aura perturbé mon “décollage”. Un son moins bien réglé que d’habitude, sans aucun doute, mais Senary n’y est pas pour grand chose et il serait temps que l’équipe de Portobello se soucie un peu plus de cet aspect technique et artistique. Une envie de trop montrer et de lancer trop tôt toutes ses forces dans une “bataille” qui sera longue (la réussite d’un label ne se juge pas à sa soirée de lancement, encore moins dans la satisfaction “provinciale” du petit milieu de l’electro caennais) ? Une certaine précipitation dans le montage artistique de la soirée ? Il y a peut-être un peu de tout cela. Mais cette soirée aura aussi été la confirmation que Caen manque cruellement de lieux propices à ce genre de musique et qu’on ne lâche pas de jeunes “mustangs” dans un manège prévu pour des poneys.  Bref il y a urgence pour l’ensemble de ce secteur à renouveler d’audace pour secouer une “routine” de la nuit. A sa manière, Senary apporte une nouvelle couleur indéniable à l’offre musicale caennaise, il reste maintenant à sortir d’un cadre sclérosant pour offrir une facette inédite à l’electro caennaise. Ca tombe bien, il paraît que le 16 octobre, c’est justement de cela dont il sera question. Alors, mesdames et messieurs les artistes de la nuit electro, saisissez bien cette occasion pour qu’on vous entende !

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