Tels des enfants gâtés, nous étions habitués, en septembre, à faire le tri dans les différentes propositions de spectacles présentées par des maisons qui se sont installées dans le confort  d’une routine calendaire. Mais un virus est passé par là et avec lui son lot de catastrophes économiques, sociales, humaines et plus encore l’obligation qu’il nous dicte d’être à la hauteur de son défi destructeur.

A l’heure où se bouclent ( habituellement) les programmations culturelles pour la prochaine saison, il est peut-être permis de  poser quelques questions. Caen concentre une offre culturelle riche et variée, ce qui, en temps normal, est un atout indiscutable. Avec la crise actuelle, cette richesse peut très vite devenir un handicap si on intègre la “lourdeur” légitime de nos institutions et la nécessité dans laquelle elles se trouvent à maintenir leurs équipements en état de marche.

Penser à échelle humaine, panser une ville …

Plus que jamais, confiné depuis des semaines, je me méfie des donneurs de leçons, des faux-prophètes du monde d’après. Comment penser la suite sans tomber dans des généralités oiseuses ? 

Je m’autorise cependant à livrer ici quelques réflexions à l’échelle d’un territoire que je crois connaître, celui de ma ville. J’accepte bien volontiers les conséquences de cet acte “prétentieux”, mais j’espère plus encore, qu’au-delà de ces lignes, s’engage un dialogue qui en reprendrait quelques éléments. 

Et si on envisageait un … “moratoire” culturel…

Gonflé(e)s aux hormones généreusement offertes par les spécialistes du divertissement en ligne, saturé(e)s de séries, de captations de spectacles (une hérésie, hier encore ), il y a, pour les acteurs de la chaîne culturelle locale, un défi à relever. Si, comme je le crains, tout un chacun repart dans son coin, à coup d’éditos généraux, à coup de “oyez, oyez, elle est belle ma saison !”, bref si on repart comme avant, nous risquons de passer à côté de ce défi. Les saisons “culturelles” qui se pensent et se concoctent actuellement pour la saison 20-21 sont déjà frappées d’obsolescence si elles n’intègrent pas, au moins pour le dernier trimestre, une part “accidentelle”, c’est à dire si elles n’assument pas le risque de la réactivité, de l’incertitude et donc de la ..liberté. Liberté de programmer à la dernière minute, liberté de penser en dehors du sacro-saint (et périmé) confort de la saison, liberté de s’ouvrir à des collaborations spontanées, inédites, originales….Il n’y a pas que le virus qui mute, et nous pouvons, nous devons attendre de nos “grosses” maisons culturelles qu’elles s’adaptent à cette  nouvelle donne de l’incertitude. 

Il me semble, en effet,  que nous pouvons raisonnablement considérer le dernier trimestre ( en gros septembre-décembre 2020) comme un temps qui restera soumis à d’énormes incertitudes, et je ne parle même pas de notre désir, comme spectateur, de nous retrouver affublés de nos masques dans les salles….Face à de telles incertitudes, il y a pourtant une urgence technique à construire ce retour en salle, ce retour à la fête, ce retour au partage. 

Mettre en “pause” la routine de la saison, et ce pour un temps très court de trois à quatre mois, ne me semble pas être un désir révolutionnaire ou fumeux, à condition, évidemment, que cette “pause” soit l’occasion d’un sursaut d’intelligence collective, l’occasion d’une collaboration inédite et originale entre les petites, moyennes et grosses structures culturelles, entre les artistes locaux, et qui sait, entre le public actuel, le public à conquérir et le public perdu. 

Ce virus est une monstrueuse provocation intellectuelle, et je me plais à croire ( à rêver) d’une réponse caennaise, provocante et joyeuse, d’une réponse audacieuse et foutraque à la fois, d’une réponse dans des lieux incertains, avec des jauges incertaines, avec des horaires atypiques, des “associations” poétiques, d’une réponse enfin qui résulterait d’un vaste chantier iconoclaste où Marcial Di Fonzo Bo pourrait être dirigé par Olivier Lopez, où Hyène ( “the” groupe à suivre caennais !) ferait l’ouverture du stade nautique, où Alban Richard nous apprendrait à glisser avec un masque entre les rayons du Monoprix, et que penser d’un bus Twisto-Electro qui ferait le tour de la ville non pas pour sonner le couvre-feu mais un nouveau rituel festif….

Vers un Festival d’Automne caennais de l’intelligence collective …

On peut très bien me répondre : de quoi je me mêle ! Mais quitte à danser sur un volcan (ce qui est tout de même la meilleure image à ma disposition pour m’imaginer le programmateur devant son calendrier) autant s’assurer d’un circuit “court”, voire d’une certaine auto-suffisance momentanée. La logique institutionnelle de la culture “made in France” retrouvera certainement ses droits assez vite, avec ses grands noms, ses spectacles labellisés Libé, Telerama ou Inrocks, mais est-ce faire preuve d’utopie naïve que d’imaginer, pour un temps très bref, une courte saison caennaise, par, pour et avec une ville ? Nos institutions n’en sortiront que plus fortes si elles entament une sorte de paix des braves ( elles ne sont pas en guerre, tout juste en concurrence) et plus encore si elles s’engagent dans une dynamique de collaboration inédite et innovante. Des acteurs culturels locaux existent et, dois-je ici le rappeler, souffrent plus que jamais des conséquences de cette crise. Dans ce que j’imagine, il ne s’agit pas de se retrancher dans une autarcie culturelle, et encore moins de s’occuper démagogiquement de nos intermittents locaux. Tout comme Paris, qui s’était donné un “Festival d’Automne”, il est peut-être temps encore de penser un festival d’automne caennais de notre intelligence collective, certes dans l’urgence et dans la crise, mais n’est-ce pas au pied du mur qu’on reconnaît le maçon ?

Dans le confort de mon salon confiné, je peux manier “ad nauseam” les idées, les propositions originales ou démagogiques, la réalité bouleversée du terrain se chargera bien de nous rappeler tous à son ordre contrariée, mais il m’a semblé qu’il y avait, au-delà des injonctions de façade, une urgence à réfléchir collectivement et à proposer, ne serait-ce que pour un temps-laboratoire, une réponse alternative.  

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