3 works for 13 au Théâtre de Caen. 

A peine rentré du théâtre je ne résiste pas à l’urgence de mettre en mots ces belles impressions surgies du spectacle proposé par Alban Richard. Après tout, si je parviens à persuader quelques personnes de profiter de la dernière représentation de demain, j’aurai peut-être donné une vertu supplémentaire à mon enthousiasme….

Tout est dans le titre : 3 works for 12, à savoir trois pièces musicales qui seront autant de prétextes à des illustrations chorégraphiques aussi évidentes que précises.

Sur un plateau nu mais où domine une sorte de lustre moderne avec ses 24 projecteurs, surgissent, dans une chorus line parfaite, 12 danseurs. On entend alors Hoketus, une pièce musicale de Louis Andriessen datant de 1976. Durant près de trente minutes les douze danseurs, quatre hommes et huit femmes, se livrent à une lente déconstruction de cette ligne frontale, et c’est une géométrie parfaite, toute en symétrie qui se développe sous nos yeux, envahissant le plateau dans une rigoureuse et haletante déambulation. Loin d’illustrer la musique, mais en assumant pleinement les attaques et la structure répétitive de l’oeuvre, les danseurs parviennent, sans aucun discours autre que celui du corps, à nous faire comprendre la construction musicale, sans que l’on ne sache plus vraiment qui, de la musique ou de la danse est ici sublimée. Toute l’intelligence du travail d’Alban Richard sera de se mettre entièrement au service d’une compréhension sensuelle de cette musique, si représentative de cette vague minimaliste américaine des années 70. Le groupe des 12 danseurs se soude et se désorganise pour rendre encore plus sensible les variations d’un thème répété jusqu’à plus soif. Le chorégraphe, humblement mais avec tact, fait de ce premier mouvement une introduction à sa grammaire sans que le propos soit ostentatoire ou grandiloquent, il ne magnifie pas une musique ou des corps mais utilise son langage chorégraphique pour nous livrer sa passion pour cette musique.

Le deuxième mouvement est construit autour de la pièce de Brian Eno: Fulness of wind, une variation “airport friendly” du célèbre canon de Pachelbel. La danse se fait plus sensuelle, les corps se cherchent, se respirent dans une sarabande mélancolique. Entre temps, les danseurs, au début habillés dans des costumes où dominent le noir et le blanc, se sont changés à vue et la couleur entre en scène, et avec elle, la note acidulée et subtilement vulgaire qui caractérise pour moi la musique de Brian Eno. D’abord diffusée par une modeste enceinte miraculeusement tombée des cintres, le son se “spacialise” ensuite et permet aux danseurs d’offrir une nouvelle “lecture” de cette répétition où courbes et fuites viennent contredire la froide rigueur didactique de la première partie. 

En dégageant de la scène un synthé juke-box qui joue les entractes, un danseur est saisi, à vif, par la dernière pièce : Pulsers de David Tudor. on entre alors dans une sorte de version épileptique de la Nuit des morts vivants, avec ces corps qui semblent frappés par une sorte de stroboscopie musculaire qui les poussent à se mouvoir dans des postures disgracieuses ou entravées, illustrant magnifiquement la nature presque transversale de cette musique aux tonalités tribales millénaires mais aussi mathématiques. Là encore, on échappe à toute volonté platement illustrative pour nous inviter, avec douceur, à entrer intimement et simplement dans  l’architecture de la pièce musicale, sans que jamais le discours pèse ou s’impose. 

Quel plus beau cadeau espérer en  ce début d’année si morose que cette heure où toute l’intelligence créative d’une équipe est entièrement consacrée au partage d’une passion et de nous permettre ainsi de nous abandonner, au sens presque premier du terme. De nous abandonner à la beauté froide de la musique et de la danse.  

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