Mardi soir, dans le cadre d’une soirée privée, Fred H entamait officiellement le marathon musical d’un mois de novembre qui coïncide avec ses trente ans de carrière. Avec sa silhouette imposante qui sait pourtant se faire discrète quand il écoute ses ami(e)s djs derrière les platines, son ombre accompagne la montée en puissance des musiques électroniques en Normandie depuis trois décennies : cela méritait bien un entretien dans Cave Caen.

Le 31 octobre, entouré de ses ami(e)s et de certaines des figures les plus marquantes de la nuit caennaise, il fêtait ses cinquante ans et devait certainement penser au chapelet de dates qui allait ponctuer le mois à venir, à commencer par celle d’hier soir (vendredi 3 nov), au Portobello où, après une souveraine “mise en bouche” par Vince Vega et sa ferme conduite d’un warm-up en phase avec les tracks les plus actuels, Fred H, tout en majesté dans son rôle de vedette américaine, se (nous) délectait des pages les plus groovy de sa longue carrière.

Le lendemain ( samedi 4), c’est à Rouen qu’il se rendait pour une soirée Carrousel#9, entre croisière musicale et clubbing avec la fine fleur du collectif Mad Brains.

Des dates, des souvenirs et … la musique !

Ces informations et d’autres encore, on sent que Fred H est heureux de me les confier quand il me reçoit chez lui, quelques heures avant de mixer au Portobello. Par un hasard savamment orchestré de son calendrier, il se trouve au centre d’une actualité musicale qui culminera sans aucun doute le 11 novembre avec une soirée 100 pour cent calibrée Fred H : Funhouse ( à la Demeurée). Entouré des ses plus fidèles complices en amitié et en musique ( D’Julz, Didier Allyne et Freddy) il nous invite à la plus délicieuse des immersions “house” où devrait résonner, sans nostalgie aucune, l’esprit original et originel de cette musique dont il reste l’un des plus fervents défenseurs.

Entre 94 et 2000, je pouvais jouer quatre fois par semaine à Caen”…

Quand il m’annonce de tels chiffres, confortablement installé dans la quiétude de son appartement, nulle trace d’arrogance mais le constat d’une époque révolue, celle du Zinc, du Canal Café, du Farniente, des bars caennais qui auront été autant d’étapes dans sa construction musicale et professionnelle. Mais c’est sur la côte, à Ouistreham que commence en partie son avenir de DJ, avec le Queen, la discothèque du casino où vers 18 ans, d’abord en observant puis en se pliant aux exigences de l’époque, il se frotte au difficile et formateur apprentissage du dj généraliste, celui qui doit faire tourner les tubes, alterner les genres et se plier à la loi implacable de la piste : il faut que ça danse ! Très vite il est repéré par la direction du Transfert, la mythique “boîte” à folie de Pont l’Evêque jusqu’à en devenir  le DJ résident, un nouveau statut encore balbutiant en Normandie mais qui aura permis aux plus grands d’affiner une science et une connaissance intime de la piste de danse et de ses vibrations les plus complexes. 

On allait à Londres pour trouver des pépites”…

A l’heure de Deezer on peine à comprendre l’activisme pionnier de ces premiers amoureux qui pour nourrir leur set en explosion de vinyles n’avaient d’autres recours que de se rendre à Paris, Londres ou Berlin pour dénicher les pépites ( un terme qui reviendra souvent dans la bouche de Fred H) gravées sur disque ; un investissement en temps et en argent qui donnait un goût, un sel particulier à ces trouvailles, comme autant de Graal précieux.

En trente ans de carrière, Fred H aura vu apparaître la dématérialisation de “sa” musique et accompagner l’inévitable dépréciation qui en découle. Là encore je pouvais craindre des pointes de nostalgie  dans ses évocations mais c’est avec la force du constat qu’il me les livre, tout comme il constate la disparition progressive des lieux caennais où sa musique trouvait refuge.

Il y a eu une insouciance qui s’est perdue…

S’il situe cette perte autour des événements du 11 septembre , ce n’est pas avec l’assurance d’un historien mais avec sa connaissance empirique du monde de la nuit et de son évolution. Plus localement, après la déferlante “electro” en France et à Caen, c’est bien sa perception locale que je m’empresse de sonder, histoire de comprendre pourquoi la dynamique qu’il a, en partie, contribué à construire, n’a pas débouché sur la reconnaissance de sa ville comme haut-lieu de la musique techno. 

On s’est retrouvé avec une ville qui marchait à deux vitesses”. 

Sa réponse à cette question est claire et c’est du côté de l’ancienne ou actuelle direction du festival Nördik ( ou sa variante minimale NDK) qu’il faut chercher la responsabilité. En se refusant à faire le lien, tout au long de l’année, entre les forces vives musicales caennaises ( il en est le plus illustre représentant lui qui, du Rex ou d’ailleurs, possède encore le carnet d’adresse le plus à jour) et les grands producteurs ou artistes nationaux ou internationaux la direction de ce festival porte une lourde responsabilité de même qu’en  laissant aux djs locaux seuls  l’activité quotidienne d’animation et de transmission de ces musiques pour se centrer exclusivement sur l’économie ponctuelle d’un festival, cette même direction n’aura pas su ( ou voulu) irriguer de sa gloire éphémère un terrain local pourtant riche en promesse.  Ce désengagement envers la scène locale débute, à ses yeux, en 2003, après la première venue de Laurent Garnier et un set d’anthologie qui aura tenu éveillé les plus fêtards. 

En chat matois qui en a vu passer d’autres, il s’empresse de relever, non sans ironie, les “éléments de langage” d’un festival NDK qui entend faire de ces musiques la nouvelle expression de l’inclusivité, et de rappeler aussitôt à quel point les lieux historiques qu’il a vu naître autour de la house étaient par essence même les lieux de refuge et de respiration festive pour toutes les minorités. Inutile alors de le crier sur tous les toits ou de s’en draper hypocritement : la scène house défendue par Fred H n’aura jamais connu de quota, de genre ou de race !

 “L’essentiel c’est de savoir sortir de la boucle…

C’est encore quand il parle de musique que Fred H se montre le plus prolixe, et s’il n’est pas avare, par moment, de sentences définitives sur certains “artistes” d’aujourd’hui, force est de reconnaître que c’est à la lumière d’une analyse fine et construite, à l’image des ses propos autour de la montée en puissance de la techno “qui tabasse” qu’il analyse pourtant comme une bulle qui finira par exploser d’elle-même. Qu’on ne compte pas sur lui pour relancer une guerre dérisoire entre house et techno il connaît trop les apports et les limites des deux genres pour s’y risquer. En revanche son plaidoyer pour la ligne mélodique et sa nécessité presque vitale fait mouche quand il nous invite à “sortir de la boucle”, cette répétition d’un motif sonore qui, sans architecture mélodique ne produit qu’une succession d’évidences rythmiques lassantes : “L’humeur d’un morceau, c’est la ligne mélodique qui la donne, c’est elle qui nous dit si c’est drôle, mélodique ou foutraque…”. Il y a de la sagesse derrière ce constat tout comme cette affirmation, digne d’un vieux sage qui lui fait reprendre les conseils que lui donnèrent ses premiers mentors : “ T’es bon à 30 ans si t’as commencé à 20 ans”. A l’heure où tant de gloires éphémères se brûlent les ailes en devenant trop vite des produits périssables surexposés un été seulement, de tels propos pourraient évoquer les grognements ronchons d’une ancienne gloire mais toute la force de Fred H réside justement dans notre incapacité à la classer dans cette catégorie et son actualité musicale est là pour nous le rappeler avec force, justement. 

Après son “feu d’artifice “ de la Demeurée, il en profite pour rappeler qu’on pourra le retrouver le 25 novembre au BBC pour une soirée Icelandic Pulse autour du prestigieux label Thule records et ses artistes emblématiques : Thor, Ohm ou Octal Industries, un projet Boréales dont il a par ailleurs assuré la coordination artistique. Et comme si cela ne suffisait pas, c’est encore le 2 décembre, au Cargö, qu’on l’entendra dans le cadre de la grande soirée hivernale (et désormais traditionnelle) du collectif Mad brains. Ce soir-là, il jouera  chez lui, à Caen et partagera l’affiche avec Steve Bicknell, le “doyen” incontesté de la scène techno anglaise ; un dialogue à distance mais au sommet, en quelque sorte. Histoire d’aborder 2024 avec la même voracité créative, c’est un nouveau label qu’il entreprendra de créer dès janvier prochain avec la publication régulière de 100 vinyles “prestige” qui seront autant de facettes d’un set idéal qui ne cesse, depuis trente ans, de tourner dans sa tête. Inutile ( ou presque) de lui souhaiter alors un joyeux anniversaire, il s’est chargé de la plus virevoltante bande-son pour accompagner ce mois de festivités. A Caen, avant de fêter notre millénaire, pensons tout d’abord à nos artistes vivants, Fred H en tête et …en majesté !

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