La semaine Nördik, acte 1

Traditionnellement, c’est autour des vacances de la Toussaint que Caen plonge dans les délices des nuits electro, et même si c’est avec une voilure (beaucoup) plus réduite, cette année ne fera pas exception, pour le plaisir des amateurs du genre, et plus encore pour le dynamisme de la ville.

Un “before” très politique.

Mercredi après-midi, au sein même de l’hôtel de ville, se tenait la première des concertations annoncées quant à l’avenir du festival Nördik. Le petit monde des musiques électroniques avait répondu présent, non sans quelques étranges erreurs “protocolaires” initiales dans l’élaboration des invitations, mais ce n’est là, après tout, que l’écume du problème. Au menu de cet après-midi de réflexion la question cruciale de l’existence (et de la visibilité) des musiques actuelles à Caen : vaste chantier qui avait le mérite de désactiver la potentielle focalisation polémique sur le Cargö et son devenir. Une dizaine de tables (rondes, forcément !) accueillent un public plus ou moins au fait de la question du jour. Les propos liminaires d’Emmanuelle Dormoy (qui rappelle, au passage, la volonté de la Mairie de soutenir fortement l’épanouissement de cette “culture” désormais populaire) rassurent ou confirment, Mathieu Douet, l’actuel président de l’association Arts Attack, gestionnaire du Cargö et organisatrice des anciennes éditions du festival, nous présente son cadrage d’un possible “futur” pour les deux entités avant de laisser la parole à Philippe Berthelot, le directeur par interim de la smac ( le label officiel du Cargö) après la départ précipité de Jean-Marie Potier cet été. 

La méthodologie de travail est aussi simple qu’efficace, une demi-heure de “brain storming” pour tous, avant une restitution commune. C’est un peu fastidieux parfois, non sans un risque certain de redites et de généralités, mais la parole se libère tout de même quand le paper board ( ah le paper board, que ferait-on sans lui) souligne lentement quelques petites vérités : relâchement des liens entre le Cargö et la nouvelle scène musicale locale, vacuité ou obsolescence du projet artistique du Nördik, cohérence du format parc-expo (de toute manière annoncé comme caduc )….Pour l’instant, l’équilibre, forcément fragiles, entre les nostalgiques (d’un festival mythifié dans le souvenir de ses premières heures), les partisans de la page blanche ( on reprend tout à zéro) et les “Normands de service” (p’tête ben qu’il faut un peu des deux !) permet d’envisager les prochaines étapes de la concertation avec optimisme. La fin de cette démarche, annoncée vers mars-avril, semble cependant incompatible avec un projet de résurrection de Nördik six mois plus tard. On verra bien ce qui sortira de cette démarche généreuse, mais nous devons tous prendre garde aux limites rhétoriques de ces débats participatifs si nous intégrons une donnée étrangement absente des premiers débats de mercredi. Il y aura forcément un nouveau directeur au Cargö (on l’annonce pour début 21). Au risque de se satisfaire d’un second couteau juste-là pour gérer les stocks de papier-toilettes, celui-ci (ou celle-ci !) voudra nécessairement imprimer sa part “artistique” dans la direction de cette grosse maison et non pas appliquer servilement un cahier des charges imposé. Et que dire de toutes ces personnalités, de toutes ces associations qui, bénévolement, enrichissent et dynamisent l’absence actuelle de politique artistique du Cargö. Il y aura forcément un moment où la question d’un retour sur investissement se posera, ou celle d’une compréhensible mise en retrait.  A suivre (de très près) donc….

La première soirée

Hier soir, on découvrait donc la première de ces deux soirées “En attendant Nördik”. On pouvait tout craindre, ou tout espérer : une version au rabais, une simple déclinaison des soirées Ipnotika- Mad Brains (les deux principales associations délégataires artistiques de l’événement), ou tout simplement l’ébauche d’une toute nouvelle dynamique….Autant l’annoncer tout de suite (en rappelant que ce ne sont-là que des impressions personnelles ) je suis reparti du Cargö, ce matin, en n’ayant pas tranché la question. Verre à moitié vide, à moitié plein ? Le débat est stérile si on reste dans la nostalgie de la grosse coupe (discutable) du parc-expo. Mais, si on reste dans la pure logique d’un événement strictement Cargö, on ne peut que louer le “carton plein” de cette première soirée. Oublions pour un temps le label “Nördik”, et contentons-nous de voir ce qu’il y avait dans notre assiette “hard-trance) au menu ce vendredi. 

Un univers lumineux indiscutable.

Attention, les lignes qui suivent risquent nécessairement de divulgâcher (spoiler) quelques points essentiels du dispositif technique des deux soirées. Le point central reste ce bel accent mis sur les effets-lumière, aussi bien dans le club que dans la grande salle. Des “carrés” de laser, à la face des deux scènes, laissent exploser une combinaison infinie de sculptures lumineuses qui tantôt quadrillent, embrasent ou découpent les deux dancefloors. Le dispositif pourrait être vulgaire, tant il est intrusif, allant parfois jusqu’à éclairer le visage d’un danseur, le sortant comme par magie de l’’anonymat. Mais le très beau travail artistique des ingé-lumière rend tout cela poétique, comme le tressage permanent d’un voile de dentelles éphémère au-dessus ou sur nous. Si on ajoute à cela de véritables “canons” de lumière qui expulsent vers la grande salle des jets iridescents, comme des commentaires chromatiques qui viendraient ponctuer le discours musical extrême, on ressort de là, le corps troué par d’inoffensives balles de lumière, les yeux éblouis par ce festival de “lumens” et cet incontestable spectacle. Tout en haut des gradins, on est comme un gosse devant un feu d’artifice, on en viendrait presque à crier “oh, la belle bleue !”. 

Dans le club, le pupitre des djs se cache derrière une sorte de sculpture fractale, la face avant d’un véhicule interstellaire, qui sait ? Arrivé presque à la fin du set de Rimkus, je m’en veux vraiment de ne pas être venu dès l’ouverture, tant les dernières notes que j’entends sont riches d’un imaginaire musical, une prochaine fois donc.. direction  la grande salle ou la scène est entièrement fermée par un immense tulle, un voile léger qui permet un travail de mapping video devant les djs tout en les voyant par effet de transparence. Selon les ambiances musicales, flotte alors autour d’eux une illusion de 3D qui fait la part belle aux figures géométriques, et (petit bémol) à de très (trop) convenues images sidérales. C’est donc reparti pour le désormais traditionnel voyage intergalactique, avec son lot d’asteroïdes, de navettes spatiales (qui ressemblaient tout de même parfois à des cuves de machine à laver !), de robots et autres humanoïdes plus ou moins agressifs. Comme la projection video occupe tout l’écran du tulle, donc de la scène dans toute sa surface, l’effet est saisissant, énooorme même, mais la poésie froide du voyage spatial est en passe de devenir un véritable lieu-commun…De temps en temps, cependant, on voit resurgir des visages ( de ma jeunesse ?), Jimmy Carter, Moshe Dayan, en apparitions presque subliminales, ajoutent une touche “guerre froide” troublantes face, par exemple, aux gesticulations musicales (et physiques) assez vulgaires d’ Anime, la prétendue bombe italienne du hardcore. Heureusement qu’au même moment (étrange compétition entre deux femmes) Nj égrenne délicatement ses cascades de notes perlées qui introduisent à chaque fois son “tapis” trance et mélodieusement hypnotique. Le travail d’NJ, toujours aussi délicat, trouvait ce soir un écrin légitime à son talent, tout comme ses deux successeurs, Elzeden et Polar X qui, dans une confrontation musclée, nous prouvent, s’il en était besoin, que nous avons les artistes locaux pour animer un événement artistique à prétention nationale. 

Retour dans la grande salle avec le set à mains multiples de Hardcore France Family. Même si je suis peu amateur du genre (faute avouée à demi pardonnée), je suis resté plus d’une heure à comprendre les mécanismes de l’heureuse jubilation qu’ils parviennent à insuffler à la salle (surtout après la très peu convaincante démonstration lourdaude et pataude d’Anime). Avec eux, la recette est simple, on navigue dans un maelström de sons, de l’electro swing à Queen ( “Mud on your face “ à toutes les sauces…) mais on le fait avec un bpm outrageusement survolté. C’est au sens propre, un véritable travail de dj à l’ancienne, comme dans les discothèques de ma jeunesse, mais passé à travers la moulinette d’un son “hardcore” et le plus surprenant, c’est de voir que ça marche à merveille ! A quand “petit papa Noël” version hardcore ?

Le reste de la soirée se poursuit, dans son montée imperturbable du pitch et sa lente dispersion mélodique au profit d’un kick de plus en plus rageur et dévastateur. Dans le club, des sonorités très “Mario kart” sous hormones de catcheur m’interpellent. Je demande tout autour de moi qui en est l’auteur et je n’obtiendrai jamais la réponse. N’est-ce pas là un peu les limites artistiques (donc politiques) de ce genre de soirées ? Impossible de trouver, dans tous les recoins du Cargö, une seule information sur le line-up et donc les artistes qui passent, un peu comme si le “bruit” était plus important que la “musique”. Mais c’est tout de même essentiel de connaître au moins le nom des musiciens sans que cela relève d’un parcours de combattant. Eduquer le public, c’est déjà le renseigner, sans devoir rester connecté sur son “phone” pour savoir qui est qui, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup. 

Il est pour moi l’heure de partir, ma chute de vélo, mercredi, et surtout mon corps, me rappellent que ce soir, il y a une suite et que je souhaite plus que jamais en être. Mais c’est tout de même d’un coeur léger et conquis que je quitte la Smac, confiant dans la capacité de nos “nouveaux directeurs artistiques par interim” à mener un travail collectif et exigeant à la fois.

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