Nördik, suite et fin….

On m’a reproché d’avoir utilisé, dans un précédent billet, les termes de “hardeux” et “bourgeois” pour parler du public-cible de chacune des deux soirées (par intérim ?) de ce Nördik “light” 2019. Depuis j’ai eu longuement l’occasion de revenir sur le choix de ces termes, son absence de mépris. La deuxième partie de cet En attendant Nördik m’aura pourtant confirmé l’incohérence certaine de cette logique de segmentation du public.

Un même “emballage” pour deux univers….

Deuxième acte de ce Nördik, samedi soir. Le public est majoritairement renouvelé. C’est donc avec un oeil (et un coeur ) vierge que ce nouveau public découvre les deux salles. Mais pour qui, comme moi, revient, le charme de la veille opère avec moins de force. Disons-le tout net, je ne cherche pas à entrer dans une inutile querelle entre les organisateurs  artistiques du vendredi (le team Ipnotika ) et ceux du samedi ( Mad Brains). Derrière ces deux puissantes “maisons” caennaises, se cachaient en fait une réelle complicité avec d’autres associations, d’autres artistes et ces deux soirées nous rassurent réellement dans ce nouveau dialogue possible entre tous les acteurs de la nuit electro locale. 

Là où le bât blesse un peu plus, c’est de découvrir que pour les deux soirs, on baigne littéralement dans un même environnement. Mêmes lumières, même déco, mêmes vidéo… Un fêtard, endormi dans un coin isolé du Cargö, vendredi, et qui se serait réveillé le lendemain, aurait pu continuer à taper du pied, pensant juste avoir fait une petite sieste réparatrice de quelques minutes. Je ne sais que penser d’une telle continuité (et je peux surtout comprendre son explication financière et le souci de rationalisation technique entre les deux soirées), mais cela pose tout de même quelques questions. Si “l’emballage”  est aussi souple, et peut convenir aussi bien aux “hardeux” qu’aux “bourgeois”, aux adeptes de la teuf qu’à ceux du clubbing, c’est peut-être lui qui fait le trait d’union, le lien entre les deux soirées. Mais dans ce cas-là, en poursuivant cette logique, on en vient naturellement à se demander s’il était vraiment nécessaire de segmenter ainsi les deux soirées. Vers cinq heures ( de matin donc !), AnD se lance (nt) dans une ultime frénésie techno qui aurait très bien pu passer à la suite du set de Darkvibe, vendredi soir : mêmes sonorités sourdes et brutes, bpm(s) jumeaux…Plus que jamais, il m’a semblé que cette prétendue ligne de démarcation, ce “mur” ( de Berlin nécessairement) entre les genres électroniques est une vaste fumisterie et que cela ne profite qu’à ceux qui veulent diviser pour mieux régner, c’est à dire aux “nouveaux marchands du temple” electro qui ont compris que pour mieux vendre leurs “cames”, il fallait emballer le produit dans des standards commerciaux. C’est plus facile de faire de la pub pour une pomme quand on s’appelle “Pink Lady”, et qu’on s’adresse à des jeunes qui n’ont jamais mis les pieds dans un champ ( de teufeurs ?). Alors on va à une soirée Trance, house, ou Techno, comme on achète des barquettes de fraises espagnoles et c’est contre cette logique que je ne cesse de lutter. Il y a les fraises du jardin, la musique du  jardin privé et sensible, et il y a la fraise industrielle, la musique industrielle….

Après ce coup de gueule ( j’ai perdu la moitié des lecteurs !), retour à l’expérience musicale et gros, gros, très gros coup de coeur pour le nouveau duo Bruderschaft qui ouvrait la grande salle. Derrière ce nom se cache deux membres de la Solar family, mais désormais nous dirons Bruderschaft tout court, sans rappeler le passé, mais pour affirmer la naissance d’une couleur singulière et exigeante. Un set-live, devant vingt personnes (il est 22h) qui sonne comme une “tuerie” d’ingéniosité musicale, un aller-retour constant ( à peaufiner encore) entre recherche du “son” et retour au dancefloor, entre un son presque “ambient” qui se répand dans la salle, comme un parfum de plus en plus capiteux, mais  jamais envahissant. On écoute, on déguste chaque nouvelle boucle dans cette architecture qui évolue sans cesse, et qui jamais ne lasse. Bruderschaft, à mes yeux LA révélation de ce Nördik 2019 ! 

Juste après eux, Keikari installe son univers, et c’est avec plaisir que je le retrouve, après son passage, il y a quelques saisons, à l’ Industrie (ah l’Industrie, comme tu nous manques !). Il a fait du chemin et sa techno, sombre (nordique ?) prend le relais avec une assurance indiscutable. Les jeux de lumière sont encore discrets, et toute la pyrotechnie se lâche enfin avec le duo Lewis Fautzi, en b2B avec Reeko. Quand ils entrent en scène, je ne savais pas encore qu’on allait en prendre pour trois heures. Le démarrage est lent, subtil et l’efficacité du kick flirte langoureusement avec les boucles mélodiques. C’est très introspectif, presque cérébral, subtilement “underground” (on est très loin de l’esprit Pink Lady), mais tout de même, au bout de deux heures (il en restera une…) on finit par se lasser un peu, saturé par cette monotonie musicale qui prend le dessus sur la surprise initiale. Trois heures c’est long, surtout quand l’effet wouah des lumières et de la projection s’est estompé ( je sais, je radote un peu, c’est l’âge !). 

A trois heures du matin, Stephanie Sykes vient (enfin) ranimer la flamme avec sa techno assumée. Presque immédiatement après le beau (mais long) voyage intellectuel du duo précédent, on se retrouve à gesticuler comme un jeunot, embarqué par ce son méticuleusement agencé, s’il n’était perturbé par une très fâcheuse coupure du son en plein set. Deux minutes de flottement et ça repart comme en quarante, pro, la Stephanie !

Dans la petite salle, le club, on est surpris de constater que le modeste (mais cohérent) travail de mapping du vendredi a disparu. Seuls les effets-lumière sont là, et ils accompagnent parfaitement les sonorités sensuelles ( torrides presque) d’un Tijo Aimé qui apporte un contre-discours solaire aux ambiances nordiques de la grande salle. L’ambiance est feutrée, la pénombre propice à de langoureux échanges entre la salle et l’artiste, ou, de façon plus coquine, entre des couples qui se forment. On se frôle, on se déhanche dans un habillage sensuel soigneusement concocté par ce pionnier de la danse house. Auparavant, Cinthie, résidente officielle de Watergate à Berlin (  Ach, Berlin !) s’était livrée à un set qui n’était pas sans évoquer, pour moi, un défilé de mode “branchouille”. C’est assez convenu, rien à redire, mais rien à retenir si ce n’est cette ambiance house au kilomètre débitée avec talent.

Que retenir de ces deux soirées (de transition) ? Tout d’abord, s’il fallait encore le prouver, nous avons, après les pionniers (et créateurs) du festival, les forces artistiques pour relever le gant et poursuivre (ou transformer ?) un événement de ce genre. Nous avons, en plus, les djs locaux légitimes pour étoffer une programmation de qualité, c’est désormais un fait indiscutable. Que nous manque-t-il alors pour que la scène electro caennaise décolle enfin et qu’elle occupe enfin sa place ? Plutôt que de pleurer la mort (ou la convalescence) d’un Nördik, il conviendrait peut-être de ne pas oublier l’esprit initial de cette manifestation, à savoir un festival DES CULTURES électroniques, c’est à dire un temps fort autour de la créativité. Sans vouloir insulter les organisateurs de ces deux soirées (on sait dans quelle urgence ils ont dû rendre leur copie), ils sont un peu tombés dans le piège que l’institution Cargö leur tendait, à savoir produire deux superbes soirées, une superbe soirée Ipnotika, et une aussi superbe soirée Mad Brains. Mais là où on attend désormais tout ce petit monde, c’est dans sa capacité à se fédérer plus encore (mieux encore) pour nous proposer autre chose, c’est à dire un rêve en action, et depuis la nuit des temps, c’est ce rêve que nous proposent les artistes. Toutes les forces artistiques sont là, les énergies aussi, la volonté, n’en parlons pas, mais pour le prochain événement de ce type, c’est la ville toute entière qu’il faudra penser comme un immense et potentiel dancefloor. A quand ( Caen ?), une soirée Bruderschaft au Stade nautique, une “rave” géante au château, une déambulation “ambient” au musée, casque sur les oreilles….Tout est permis, puisque tout est à repenser !

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