Heximal by Senary : Mon voyage dans le futur (antérieur ?)

A vrai dire, s’il y a bien un lieu où je ne m’attendais pas à retourner, c’est cette “boîte” de nuit nichée au bas du vieil Hérouville, coincée entre le canal et la montée vers l’église. Seuls les plus anciens se souviennent de La Mare au diable, ( et, plus éphémère, du Vox) et des quelques rares événements musicaux originaux qui ont pu s’y dérouler. Le reste du temps, on avait là une de ces “boîtes” généralistes, une version provinciale de l’enfer, avec en plus ce frisson “racaille”  que le bon bourgeois colle si rapidement au monde de la nuit (souvenons-nous de cet incendie criminel qui ravagea le lieu en 2010). 

La donne va peut-être changer puisque la nuit dernière une bande d’audacieux passionnés a investi la place avec Heximal (by Senary, s’il vous plaît), en faisant le pari de faire de ce lieu chargé en histoires une nouvelle place forte de la musique electro caennaise.

Direction Le Palais donc, puisque c’est ainsi que se nomme à présent la discothèque. Les murs n’ont pas bougé depuis mon dernier passage, et on retrouve les deux salles au bout d’un long couloir. Le service d’ordre est souriant ( mais musclé !) et pour la déco, c’est comment dire….dans son jus. La scène centrale est immense et offre une piste assez bien sonorisée sous le regard étrangement énigmatique de deux têtes de bouddha surveillant l’accès à la cour-fumoir et son surprenant stand de sandwichs, chips ! L’équipe de Senary a bien fait son job et planqué “sous le tapis” les signes les plus ringards d’une discothèque aménagée par une Damidot sous acide ; le lieu n’en devient que plus fréquentable et révèle surtout sa formidable potentialité. De l’espace, de l’espace et encore de l’espace. C’est à la fois enthousiasmant et redoutable puisqu’il faut le remplir. On est loin des enjeux de remplissage d’un Portobello ( le lieu de baptême de la première soirée Senary).

Ce nouveau collectif, Senary, a de l’ambition à revendre et ils savaient bien, en “attaquant” le Palais,  qu’il se lance tout d’abord le défi de la fréquentation. Même si vers trois heures du matin, la discothèque n’est pas bondée, la piste centrale ne fait pas honte aux organisateurs. Vertuoze, Aeven, Skinzag, Jeopardize et le reste de cette joyeuse bande peuvent pousser un soupir de soulagement. Là où les choses se corsent un peu c’est dans la gestion des deux salles. On passera rapidement sur le système-son de la petite salle, sans retours-son et avec des enceintes qui datent certainement de l’ouverture du lieu (la direction du Palais devra envisager quelques mises à jour conséquentes si elle entend placer le Palais au niveau des standards actuels), mais ce qui est plus embêtant, c’est l’extrême froideur émotionnelle de cette petite salle, avec son aménagement en grotte de série B. Vers 23 h, Rimkus, qui ouvre le “bal” de la petite salle, entre dans le vif du sujet avec une énergie un peu trop vitaminée en face des deux ou trois “pékins” qui semblent faire le tour du propriétaire. C’est un peu redondant avec le son de la grande salle ( A222) d’où semble parvenir lointainement un écho assez semblable en terme de BPM. Vincenn, qui assure la suite (un set de deux heures débutant par Trax 4 The Club, choix judicieux et assez révélateur de son climat musical), restera bien seul face à une (petite) salle qui restera celle des courants d’air et qui, jusqu’à mon départ, ne connaîtra pas la folie d’un dance-floor exalté. Idem pour Skinzag, plus que jamais “petit Prince “ de la nuit mais lui aussi un peu seul, même s’il se livre à une louable tentative de surenchère rythmique face à Vertuoze qui, dans la grande salle, concentre la totalité du public. Senary a vu les choses en grand, et, intention plus louable encre, a voulu décliner un éventail complet de son univers sonore. 10 artistes donc, répartis entre les deux salles, mais n’aurait-il mieux pas valu se concentrer sur la grande scène, quitte à prévoir, au fil de la soirée une ouverture exceptionnelle de la grotte ? En simple spectateur, il est très facile de donner ainsi des  conseils post-dramaturgiques, mais il flottait dans cette petite salle comme une atmosphère morne qui ne permettait pas d’entrer sereinement en communion avec l’univers musical des artistes. Si, d’aventure, et ce que l’on souhaite, il devait y avoir d’autres éditions Senary au Palais, il me semble que cette question des deux salles mérite d’être posée. 

Dans la grande salle, on est heureusement surpris par deux choses : la projection permanente du line-up et la présence d’un stand de prévention des risques impeccablement tenu par UNSS ( l’Union normande des sound-system, un acronyme qui n’a rien à voir avec l’Union national du sport scolaire !). Je ne redirai jamais à quel point il me semble essentiel de donner un minimun d’infos sur les artistes qui se produisent, ne serait-ce que pour ne pas me retrouver en permanence à devoir jouer les “offices du tourisme” en répondant aux sempiternelles : “ Tu sais qui c’est ?”…C’est d’autant plus louable que le public, constitué en partie des “briscards” de la scène electro caennaise, se mélange assez harmonieusement avec un public plus traditionnel, vous savez, cette faune du samedi soir qui va en “boîte” pour faire péter la carte bleue….

La mise en espace du son est assez généreuse, avec un son qui enveloppe bien la scène et permet de baigner dans des couleurs techno-acid dominantes. Après A222, on retrouve AEven et ses désormais célèbres coups de poing, ce soir, heure de passage oblige, soigneusement jugulés et qui construisent un pont avec Vertuoze et ses clins d’oeil acid. Il ouvre son set avec Goa head (de Carlim Sakoo,  l’unique occasion pour moi de faire mon érudit à deux balles, puisque c’est la seule piste que je connais), tant il va exceller à malaxer des sons pour les faire entrer dans sa grammaire personnelle. La salle est réceptive et c’est naturel, il profite et gère pleinement l’énergie installée depuis le début de la soirée.

Au final, on sort du Palais avec deux impressions marquantes : la première c’est qu’on ne peut que remercier Senary de nous avoir rappelé l’existence d’un lieu comme le Palais avec son incroyable potentiel festif. Avec quelques aménagements techniques (nécessaires) et beaucoup de litres de peinture noire pour donner enfin à ce lieu sa véritable dimension, celle d’un “warehouse” minimaliste, il y a là la possibilité de donner  à cette ville un espace, un palais ?, pour la musique que nous défendons. C’est un enjeu crucial pour les artistes electro de la région et espérons que les “tauliers” auront compris ce potentiel économique. La deuxième impression, plus artistique, me semble être dans la nécessité de penser ce lieu non pas comme une carte de visite esthétique mais comme un espace généraliste idéal pour faire entendre un éventail plus large des contours actuels de la musique electro. Pour le dire de façon moins ampoulée, il y avait tout de même hier soir comme une forme de monotonie musicale qui, outre le fait que les deux salles se faisaient inutilement concurrence, aura rendu parfois interchangeable l’ordre du line-up, sans que n’apparaisse pour moi l’évidence d’une réelle construction d’ensemble. Mais, audaces fortuna juvat (la fortune sourit aux audacieux, c’est toujours “classe” de finir sur une citation latine), je reste impressionné par l’énergie de cette bande de potes qui entendent bien secouer le cocotier local et qui le font avec un tel professionnalisme. 

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