Carnaval Techno, Fulgeance et Deslias ….

On nous dit que la plus grosse armée estudiantine d’Europe vient, une fois encore, de se lever à Caen.  35 000 jeunes qui défilent derrière des chars, sous l’inédit et saint patronage d’Orelsan, l’enfant du pays qui devait certainement revivre des épisodes de sa jeunesse caennaise. On est loin de la dimension transgressive et mordante des carnavals médiévaux, mais qu’importe, le printemps, cette année après deux années Covid, semble avoir un parfum inédit :  les bacchanales plus ou moins éthyliques, les déguisements plus ou moins commerciaux, les réveils plus ou moins romantiques, on s’en moque ! Le printemps est là et ça bourgeonne de partout…. Il est des chars en ville qu’on a envie de suivre à l’heure où d’autres en évitent des plus meurtriers. 

Un “after” généreux au Camino…

Au rayon purement “electro”, il ne fallait pas manquer SPRNS sur son char ( attention au placement-produit uHME…) et, plus loin de la folie du parc expo,  la belle et généreuse initiative de Black Moon au Camino. Intitulée sobrement Carnaval techno, la soirée débutait à 18h et investissait la petite scène du bar le plus cosy de Vaucelles. La frénésie des dernières étapes de répétitions de uHME me force à être raisonnable mais la curiosité est plus forte aussi. Dès 19 h une foule joviale, déguisée ou pas, se pourlèche les oreilles ( je me lâche un peu dans la métaphore hasardeuse…) au son d’une techno qui n’est plus du tout en mode warm up ! Deux gros projos-led suffisent à ambiancer la salle qui reste plongée dans une obscurité qui lui convient bien et c’est parti ! On entre, on sort, on discute, on danse, en toute fluidité et cela confirme le haut potentiel de “techno-compatibilité” de ce lieu…  Peck, Polarx X, Ckurt, Kromysis, et Music scientist, des noms qu’on ne présente plus, si je donne dans la rhétorique Michel Drucker  ( un enfant du pays, non ?) sur l’affiche et le moins qu’on puisse dire c’est que l’affiche est alléchante. Le contraste est drôle entre le bar, où règne une ambiance très rock baba cool et la cave et son déchaînement de kicks aux bpm musclés ! Comme deux mondes qui cohabitent en toute tranquillité, dans une bienveillante indifférence courtoise….

Les enfants du pays au travail ….

Fulgeance et sa grammaire sonore minimaliste.

À propos des forces vives locales, je rédige ce billet en écoutant avec grand intérêt le dernier disque de Fulgeance, tout juste disponible ce vendredi sur Qobuz, mon fournisseur officiel de nouveautés “électronique”  tous les vendredis. L’album, au titre simple et efficace, se nomme Musique & Boisson. 18 titres composés dans un même esprit, entre easy leastening et groove minimaliste. Dans sa radicalité instrumentale, l’album se livre avec la pudeur d’une jeune lycéenne à sa première sortie de …carnaval. Il faut attendre Humour toujours pour que  s’échappe une première virée dance floor assumée, mais toujours avec cette retenue technique et instrumentale, un peu comme une boîte à rythme qui signerait son acte d’émancipation. Les titres sont courts et répondent à des appellations poétiques : Mésquine, La p’tite soeur,  The wanker, Le spectacle du faucon. On ne sort jamais de cette enfance de l’art électronique mais toujours avec une générosité mélodique entrainante et dansante, une ironie acidulée et mordante qui donne à l’ensemble de l’album un délicieux arrière-goût de  “ revenez-y” !

Frédéric Deslias  au Studio 24 : l’autopsie d’un projet…

S’il est un enfant du pays qui mérite toute notre attention c’est bien Frédéric Deslias et sa compagnie Le Clair Obscur. Depuis des années, Deslias mène un travail  “spectaculaire” où se mélangent le théâtre, la danse, la vidéo, la science… Avec une résidence de quinze jours au Studio 24 ( l’ancien Panta théâtre qui doit devenir pour la ville de Caen le nouveau laboratoire des arts vivants) il inaugurait ce lieu de la plus belle façon. Sortie de résidence donc, et non  spectacle abouti ! Depuis un moment, Deslias illustre et commente, à sa manière, les textes d’ Alain Damasio. Pour cette nouvelle étape,  il a choisi de nous plonger dans une des fictions de son “typoète” préféré : Le chamois des Alpes bondit. Comme toujours le dispositif scénique est d’une rare intelligence dramatique et, en plaçant les spectateurs aux deux angles inférieurs d’un cube qui se ferme, à l’opposé, par deux immenses panneaux blancs, il tient là un huis-clos détonnant dans lequel  le public épie le comédien mais aussi les spectateurs d’en face, un peu comme si nous étions tous les sujets ou les orchestrateurs-scientifiques du spectacle. Un homme, en “marcel” parle devant un micro et répond aux questions d’une voix transmise par haut-parleur. Il parle ou plutôt se souvient, et, très rapidement, se tissent les fragments d’une catastrophe plus ou moins futuriste dans laquelle il est question de “meige”, une neige qui contiendrait la mémoire d’une population. On retrouve là l’univers technico-poético-décliniste de Damasio qui n’est certes pas ma “came” fictionnelle mais dont la puissance politique et poétique est indiscutable. Ce ne serait pas un spectacle de Deslias s’il ne nous invitait pas, au sens propre du terme, à assister à une expérience de laboratoire ( ah les expériences de Milgram restent un redoutable mètre-étalon en la matière ). Une laborantine aussi muette qu’essentielle injecte alors à l’homme cette eau-mémoire et c’est parti pour un voyage onirique et mémoriel. Sur sa table d’autopsie, l’homme parle, parle et se dessine derrière lui, sur les façades blanches des murs du fond, les pixels-neige d’un souvenir, d’une trace. Il faut presque plus de mots que d’outils pour décrire alors cette simple et intense condensation de l’espace et du temps que Deslias parvient si justement à créer. On peut être saisi d’horreur devant la fiction que propose Damasio, ou plus simplement accepter ce voyage onirique et presque mental que nous dévoile ce fragment de spectacle mais une chose est certaine, l’expérience qui se livre et se tente devant nous est belle, tout simplement belle ! À suivre, de toute urgence.

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