Entre insouciance et irrévérence, une soirée de pure “folie”.
Un vent neuf et un peu libertaire semble souffler depuis quelques temps du côté du Camino, quartier Vaucelles. Hier soir, c’était un peu la folie des grands soirs, les soirs d’avant Covid. Du monde, d’abord, beaucoup de monde, malgré une grosse soirée Cargö, et des têtes qu’on ne voyait plus depuis des mois. La nuit printanière est douce et se prête à merveille à ces retrouvailles amicales, festives, mondaines qui font le sel de la nuit.
Pour réunir cette faune caennaise une interpellante invitation à une soirée …Caritateuf !
Derrière cette énigmatique appellation se cache la compagnie Bonne Chance, très emblématique de cette relève culturelle qui se fiche de la traditionnelle répartition des genres. Avec Bonne Chance, le théâtre fait la nique à la musique et la musique flirte avec le cabaret. Cette irrévérence salutaire renoue avec l’esprit montmartrois de 1900, tendance Alphonse Allais et son monochrome rouge intitulé “ Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques sur le bord de la mer Rouge”. Bref, Bonne Chance fait de l’irrévérence le nerf de sa folie créative et …ça marche !
La soirée “caritative” proposée au Camino répondait à un double objectif, récolter des fonds pour une grosse création, les 2 et 3 septembre au Wip, et plus encore présenter un spectacle “teaser” à même de montrer les forces artistiques de ce collectif.
Vers 20H30, la cave (plus germano-pratine que jamais) fait résonner les sonorités electro-jazzy de FreeDoom, un duo clavier-percu à la signature singulière. Imaginez un peu les enfants adultérins de Magma et Sébastien Tellier, avec une pointe de “m’enfoutisme”. Si on ajoute à cette tonique mise en bouche la présence, dans le public de comédiens-nes affublé(e)s de costumes aussi kitschs qu’une série Z de science-fiction, vous commencez à avoir une petite idée de la soirée. Derrière cette fausse insouciance foutraque se cache pourtant une organisation qui fait irrésistiblement penser au Grand Magic Circus, la folle aventure de Jérôme Savary et ses “aventures de Zartan” ( 1971, on sent que c’est un vieux qui écrit !).
Soirée caritative oblige, les changements de plateaux techniques sont prétexte à des ventes aux enchères aussi loufoques que construites. Sous le haut-patronage du “grand Régresseur” ( et plus tard d’un méchant Zémor plus gentil que son modèle zemourien), on propose à notre générosité des cartes VIP pour le WIP, des “goodies” ready-made intergalactiques et l’acquéreur est sommé de régler sur le champ ! C’est drôle, l’esprit cabaret fonctionne à plein et la bonne humeur, plus ou moins régressive, se répand comme une traînée de poudre.
C’est au tour de Diak de proposer ensuite son live (techno) minimaliste mais construit tout entier sur une savante et irrésistible ascension d’une boucle percussive. On sent bien, alors, que derrière cette “amusement potache” se cache une entreprise des plus sérieuses et la performance de Diak nous le confirme en une belle claque, du genre de celle qu’on n’a pas vu venir !
Nouvel épisode d’ enchères tandis que, de l’autre côté de la salle, Yann Snuss installe une scène alternative. Pour qui suit un peu l’actualité “électronique” locale, Yann Snuss n’est pas un inconnu. On le savait “conservateur “ en chef de l’instrumentarium electro-analogique, on le savait aussi pédagogue ( les ateliers du Dôme pour Interstice il y a quelques années) mais j’avoue que je ne connaissais pas encore l’âme secrète de sa passion, c’est à dire Juste Oreilles, son nom de DJ pour cette soirée. Déjà, l’idée folle (et réussie) de construire une deuxième scène dans cette petite salle est un coup de génie. Par cette simple rotation, on découvre alors un Yann en pleine communion avec ses “machines”, un nouvel écrin minimal pour que notre regard se focalise sur la gestuelle technique et raffinée du musicien. La techno est là, live en plus, avec cette rugueuse et sèche scansion rythmique, mais Juste oreilles (puisque tel est désormais son nom ce soir) y ajoute cette dose de fragilité et d’improvisation qui se tisse dans un savant dialogue avec la salle. Ça monte, ça monte et la salle est toute entière sous le contrôle du Dj qui, loin de profiter de son pouvoir, nous titille les oreilles et les jambes avec ses arabesques chromatiques….
Que retenir de cette très belle et généreuse soirée ? Tout d’abord les dates de septembre ( 2 et 3 ), histoire de ne pas rater le mega-show que nous concocte cette prometteuse équipe. Mais, au-delà du spectacle ( et du spectaculaire), je retiendrai surtout le souffle de fraîcheur et de jeunesse et l’extraordinaire promesse artistique qu’elle aura révélée hier soir. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de savoir si Bonne Chance est ou sera la compagnie des dix prochaines années. Ces paris sur l’avenir relèvent d’un esprit de banquier, en revanche, s’ils ne se font pas manger par l’institution culturelle , il y a fort à parier que les artistes de Bonne Chance, avec leur généreuse insouciance, révolutionnent un peu le conformisme académique de la bienséance culturelle….