Des images, de la musique et …de l’art.

Hier soir, à l’Esam et ensuite au Cargö, se déroulait la traditionnelle et attendue “grosse” soirée du festival Interstice. Si, pendant encore dix jours, il est possible de se rendre dans les différents lieux “squattés” poétiquement par Interstice, c’est bien lors de cette soirée que le public peut découvrir des “performances” artistiques aussi surprenantes que bouleversantes.

Jeudi, 20 h, c’est dans la salle de l’Esam que ça se passe. On y retrouve Tristan Ménez, qui propose, par ailleurs, une installation ( avec effet “wouah” garanti) au Centre Chorégraphique. À mi-chemin entre le cabaret (chic) et la performance visuelle et sonore, l’artiste nous présente une série de tableaux mouvants projetés sur grand écran. Pour réaliser ses tableaux, Ménez projette la réaction de fluides colorés qu’il distille dans des boîtes ( de Petri ?) carrées placées sous une caméra. Selon la nature des ces liquides, ces derniers s’attirent, se repoussent , se complètent et forment alors de belles compositions plus ou moins psychédéliques. Si l’on ajoute que ces boîtes entrent parfois en vibration au discours musical de Benjamin Le Baron, on obtient alors des images tremblantes d’où s’échappent parfois comme des motifs runiques ( en noir sur fond de laitance) assez oniriques. Pour faire passer cet aimable ( mais tout de même prévisible) moment de “mise en bouche”, la musique de Le Baron nous invite, presque à son corps défendant, à plonger dans les années Vangelis (période les Chariots de feu) ou à une sorte d’hommage à Klaus Schulze, décédé le 26 avril dernier. C’est planant “à donf”, “ambiant” en diable, très (trop ?) old school, mais on sort de là avec l’impression d’un moment agréable, élégant même mais surfant tout de même ( avec des techniques plus modernes) sur d’anciennes pratiques, je pense à Lorène Bihorel et son spectacle Des rêves dans le sable où elle “peignait” en direct sur une table lumineuse. 

Le “choc” Cyril Meroni et son “concerto pour laser”….

De toute autre nature sera, ensuite, le spectacle musical et visuel de Cyril Meroni : Advienne. Là, on entre, presque par effraction, dans la course au  grandiose !  La grande scène du Cargö ( changement de lieu, donc) est occupée, à jardin par un percussionniste et ses machines, tandis que côté jardin, la presque inévitable table accueille ordinateurs et appareils plongés dans une pénombre crépusculaire. Sur l’écran apparaît alors une sorte de petite comète, dans une fabuleuse réalisation numérique qui laisse entrevoir le détail de la matière, de la profondeur. Le caillou “virtuel” tourne sur lui-même, comme un foetus d’idées et se développe ( excroissance cancéreuse, expansion d’un univers, paysage en devenir…?) pour occuper l’écran de ses anfractuosités. Entrent alors en scène, au sens presque littéral du terme, des jets de laser, d’abord uniques puis éclatés, qui vont lentement tatouer ou commenter le paysage numérique, comme pour le détruire ou, au contraire, telle une imprimante 3D, le révéler. L’idée géniale de Meroni ( et d’Olivier Vasseur), c’est mettre un effet sonore sur ces impacts de lumière et commence alors une sorte de concerto pour laser  qui crépitent et dialoguent avec la musique, bruitiste au départ, composée en direct et qui lentement, sur une sorte de basse continue, s’articule et devient de plus en plus envoûtante. Au milieu d’ Advienne, la réalité d’une ( vraie) plage, de son sable noir recouvert de blocs de glace qu’observent de lointaines figures humaines crée une surprise totale d’autant que s’ajoute une bande-son qui nous parle …d’entropie. Dit comme cela, on pourrait craindre le pire mais cette pause permet ensuite une sorte de grand retour en arrière, et ce qui s’organisait sous nos yeux, ce monde “virtuel” se désorganise dans une sorte de dernier soupir qui installe presque l’image initiale. Une grande boucle donc, un cycle de désorganisation d’un  système ( c’est,  je crois, le sens d’entropie) stimulée, agressée, révélée par ce bombardement de laser. De la poésie (numérique) à l’état brut, et n’est-ce pas là la marque de fabrique qui dicte la programmation d’interstice depuis le début ?

Dans la petite salle du Cargö, la parenthèse Tolvy permet d’installer la dernière performance et au public de découvrir la petite enfant prodige de l’electro rouennaise. On peut (ou pas) être impressionné par la dimension “show girl” de la demoiselle et sa maîtrise réelle de la scène. Quelle science du “toucher de pad “ en direct, quelle chorégraphie impeccable dans le lancer de chacunes de ses boucles rythmiques ! Question “image” elle fait le job avec maestria, pour le reste (et l’essentiel) je suis un peu resté de marbre devant cette succession de morceaux à l’esthétique sonore un peu “tape-à-l’oeil”…

Dernier retour dans la grande salle pour le show de Martin Messier, lui aussi présent à Caen avec son installation de l’église Saint-Sauveur ( à voir comme toutes les autres, et tout est gratuit). Field donc, puisque tel est le titre de cette prestation nous montre un homme en prise avec …des câbles, effet lacanien garanti et référence direct à ce qu’on peut voir dans l’église. Alternant entre une nonchalance soigneusement stylisée ( du genre:  je me déplace “cool” pour chercher mes câbles)  et violence théâtralisée ( du genre : je branche ou débranche avec rage les mêmes câbles)? Martin Messier compose, devant nous, une musique faite d’événements sonores ( une formule polie pour dire du bruit et non des notes). C’est fort, dans tous les sens du terme, brutal et un peu “punk”. Pour donner encore plus de poids à ces images de l’homme en prise avec le son, une rampe lumineuse, à même le sol, déplace un faisceau lumineux qui projette sur le fond les ombres chinoises de l’homme et des ses machines. Pour compléter la “grammaire” esthétique de Martin Messier, les câbles deviennent lumineux et “dansent” une étrange chorégraphie aléatoire, au gré des manipulations musicales et techniques de l’artiste. “ Basique” ( mais efficace) comme dirait Orelsan…

La soirée finit avec Bernadette, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle fera danser les plus tardifs des spectateurs, le tout avec une impeccable rigueur punchy et …drôle.

Carton plein, une nouvelle fois pour cette soirée Interstice. Vous y étiez, tant mieux, vous découvrez, chanceux ! Il vous reste dix jours pour en prendre plein les yeux ( et la tête) en allant voir les expositions d’Interstice, 16ème du nom. 

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