Après deux années de ( demi) sommeil, on retrouve enfin le festival Interstice dans toute sa plénitude. Le principe reste le même : proposer ( gratuitement ) des rencontres visuelles, sonores, poétiques avec des œuvres …inclassables. 

Et c’est bien ce terme d’inclassable qui fait toute la fragilité ( et la force) de cette proposition puisqu’il faut presque plus de mots pour définir Interstice qu’il ne faut de temps pour entrer directement en contact émotionnel avec les installations d’Interstice. 

En proposant une déambulation dans la ville, à travers des espaces que le ( grand) public découvre parfois, comme cette école des beaux-arts ( Esam) sur la presqu’île, le festival propose des rencontres inédites et immédiates entre une œuvre, singulière et unique, et des regards, pas nécessairement acquis à l’art contemporain. Il suffit de voir le regard émerveillé des jeunes enfants qui sortent du CCN après avoir vu les « méduses » liquides et comme suspendues dans l’air pour se conforter dans cette affirmation : l’art contemporain peut ( et doit) rester populaire, c’est à dire susceptible de parler à tous, avec ou sans bagages culturels. 

Pour cette 16eme édition, Interstice conforte ses coups de cœur avec le retour de Tristan Ménez, Martin Messier, Paul Duncombe, qui, cette année encore, occupent une place centrale dans la programmation. C’est un choix fort que d’imposer ainsi des signatures, même s’il y a un risque de banaliser l’effet « wouah » ( une des composantes centrales de la dynamique du festival ) pour les habitué(e)s qui, 16eme édition oblige, sont de plus en plus nombreux. Le défi majeur des prochaines éditions sera vraisemblablement dans le maintien de cette tension entre la présentation d’œuvres « impressionnantes » immédiatement ( l’effet wouah ?) et la découverte de créations à la démarche plus intime ou complexe.

Inclassables donc, ces œuvres qui travaillent la lumière et le son ( à Saint-Sauveur), l’air et les gaz rares ( Saint-Nicolas et l’Esam), l’eau ( CCN) ; inclassables mais instantanément capables de susciter le regard, l’attention et l’intérêt du public, tant le travail (ultra technique parfois) des artistes autour de ces éléments fondamentaux fait d’eux des alchimistes du rêve, un rêve moderne et peut-être angoissant dans ce qu’il nous donne à lire ou à comprendre de notre monde, mais un rêve où toujours le public peut engager un dialogue d’égal à égal avec la proposition sans se sentir écrasé ( ou coupable). 

Cette année, le festival disposait de la salle du Sépulcre qui devenait ainsi le QG des artistes, des bénévoles et des festivaliers. Pour « habiller » la salle, le collectif Manœuvre a imaginé une installation éphémère, une sorte d’immense vélum sur un délicat châssis en bois et le moins qu’on puisse dire c’est que cela donne à la salle une nouvelle dimension. Vendredi soir, et parce que le festival propose aussi des rendez-vous « live », on pouvait entendre deux musiciens dans deux formules qui se voulaient complémentaires. Fulgeance tout d’abord, qui avec « Fulgeance et la Mer » nous proposait son dialogue musical avec une œuvre mise à disposition par le Frac, La Mer d’Ange Leccia. De l’aveu même du musicien, La Mer devient une jolie vidéo en fond d’écran à sa prestation où domineront des tonalités très Thalassa, époque France 3, dopées à de généreuses harmonies synthétiques. On ne sait pas trop qui triomphera de ce dialogue, de la vidéo ou de la musique, peut-être même que la question est vaine tant il y a de la bonhomie et du plaisir à se retrouver, sous ce chaud soleil d’une fin d’après-midi.

Si la Mer de Fulgeance semblait abordable même sur un pédalo, il faudra s’armer d’un solide équipage pour affronter les vagues toniques de Forbidden Fruit, un dj anversois qui débarquait de manière tonitruante avec une prestation live aussi folle que maîtrisée. Avec lui on pense aborder une crique Groovy et on se prend immédiatement une bourrasque acid, et on n’a même rien vu venir. Dans un show éblouissant, il fait ce qu’il veut d’un public encore un peu coincé et qui finira par devenir de fragiles esquifs voluptueusement ballottés par une main de maître ! Pour ma part, ce fut certainement un de mes plus beaux moments « electro » de cette rentrée post-Covid. 

Si Interstice s’est durablement et solidement installé dans le calendrier des propositions festivalières caennaises, il donne incontestablement à la ville une ouverture singulière sur des expressions artistiques qui doivent lui assurer une audience nationale. En accentuant peut-être son regard sur d’autres continents aux couleurs plus métissées, en sortant plus activement encore de l’entre-soi des aficionados (nombreux), et avec un accompagnement plus dynamique encore des médias et des institutions régionales, il ne fait aucun doute que ce festival confortera sa place essentielle et nécessaire surtout si l’on dit et redit que l’ensemble de la manifestation est gratuite, de cette gratuité préalable à toute expression artistique…

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