Hier soir, quelques jours après la très réussie Big Party du Centre chorégraphique, on fêtait les dix ans du collectif Mad Brains. Pour l’occasion, petits plats dans les grands et c’est tout le Cargö qui servira d’écrin pour cet heureux événement. 

Dix ans, l’âge de raison ?

Une fois n’est pas coutume, cette soirée Mad Brains n’accueille pas de guest star et c’est donc un impressionnant « catalogue » des forces vives musicales du collectif qui tient lieu d’affiche. Dix années donc que derrière ces cerveaux fous se cachent des artistes qui, mine de rien, couvrent un large espace des esthétiques electro, Fred H en tête, avec toute sa rigueur house. À l’autre bout du spectre Ethereal Structure, membre fondateur et son évangile techno de plus en plus affiné. Bref, au-delà de la simple longévité de Mad Brains, c’est cette large couverture des genres qui étonnera ce soir encore. Mais procédons par ordre et dressons le décor. 

La salle Club, clin d’œil à la Big party, est enfin décorée comme il se doit. J’avais déploré l’austérité sinistre de cette même salle pour Ndk, mais samedi elle brillait des feux « boules à facettes » et d’un délicat mais efficace accrochage de lampes foraines blanches. Mais là où l’efficacité pratique de Mad Brains se dévoile c’est dans la mise en place de deux podiums qui prolongent la scène à cour et à jardin. On découvrira par la suite l’usage « spectaculaire » de ces podiums mais ils vont rapidement être occupés par les danseurs et donner à la salle une dimension nouvelle avec ses trois étages de jeu, la salle, les podiums et enfin la scène. Au sol, la seule trace festive pour nous rappeler que l’on est là pour un anniversaire seront des confettis gris alu, en taille XXL et qui, miraculeusement, au fil de la soirée ne vont pas rester collés aux pieds. 

La « com » de l’événement nous l’indiquait, cette salle sera un temple dédié à la musique House avec nos trois gardiens : Rod Roy, membre fondateur lui aussi, puis Vince Vega et enfin Fred H. À eux trois, ils couvrent la cohérence et la diversité de cette esthétique jusqu’à ce closing de Fred H qui sortira, une fois encore, son artillerie de sonorités « 90 ». Loin de toute nostalgie, elle aura permis à un public parfois novice en la matière de renouer avec ces années-phare de la nuit.

Pour renforcer l’esprit festif, on voit apparaître trois drag queens  ( tiens, une de plus que lors de la Big party) qui, par deux fois vont « ambiancer » la salle tout en dévoilant des silhouettes et des maquillages renouvelés. Au centre, une version provocante et boudeuse ( pourquoi voit-on toujours des drag queens qui « tirent la gueule ?) d’une reine de la nuit, toute en gesticulations robotisées, et de part et d’autre, sur les podiums deux figures sorties directement du Marais et qui s’emparent lentement des podiums en délogeant cordialement les danseurs qui s’y étaient risqués. On est en « famille », et le public plonge avec délice dans cette reconstruction « politiquement correct » des folies « gay » qui rappelons-le, étaient à l’époque une réponse à l’horreur des années SIDA. On nous annonce le grand retour du disco et ici même à Caen, deux semaines de suite, on a un petit bout de l’esprit Palace qui tombe du ciel, en écho à nos confinements passés et qui sait, futurs ?  Si ajoute à tout cela deux bons lasers qui font plus que le job, on peut dire que rien qu’avec cette salle Club, Mad Brains aura montré sa parfaite maîtrise de la nuit et réveillé une salle qui, à l’image d’une Belle au bois dormant, en avait bien besoin. À propos de Belle, je ne peux passer sous silence l’entrée en scène de Fred H qui va piocher dans l’univers Walt Disney ( période Cendrillon) son entrée en matière, c’est drôle et léger et ce sera pour mieux nous délivrer son baiser de vie musical. 

Direction la grande scène, plongée dans une pénombre qui va s’installer durablement. On peine ( vraiment ) à distinguer les artistes sur scène et si on ajoute à cela que j’ai cherché toute la soirée un line-up pour savoir qui joue et où, je décoche ici ma petite flèche critique. Je pense connaître assez bien l’écurie Mad Brains mais comme je ne veux pas écrire de bêtises je me trouve, maintenant encore, dans le doute. Est-ce Von M qui ouvre le bal de la grande scène ? Je fais un peu l’andouille mais cet oubli d’infos artistiques….grrr ! 

Pas de décor cette fois-ci, oubliées les déclinaisons du grand M qui signait les précédentes soirées Mad Brains. À la place, deux arcs de cercle avec douze projos derrière les djs et qui amplifient un jeu de lumière orienté principalement vers la salle. On est entre le lever ( ou le coucher) d’un soleil rougeoyant appuyé par trois lasers qui griffent la pénombre de leurs arabesques. On se retrouve donc dans une immense caverne entièrement dédiée la techno, magnifiée pour un temps par le live de Bruderschaaft qui s’en donne à cœur joie pour tester et moduler des ambiances de plus en plus structurées mais qui seront toujours précédées par d’efficaces plages de repos musical. Une techno Hot et rigoureusement balancée qui aura gagné en efficacité « dansante » tout en ne perdant ( pas trop) sa dimension architecturale et conceptuelle. 

Conformance ( je suppose, gros LOL de vieux schnock) prend le relais et s’affirme alors un son qui fera la guerre à toute escapade mélodique pour se concentrer sur le sel de cette musique, à savoir une recherche presque obsessionnelle de la pureté de seule ligne rythmique. Même si le Cargö n’est pas complet-complet ( mais pouvait-on le croire quelques jours à peine après NDK), je suis heureux de voir qu’une équipe comme Mad Brains est capable d’attirer , sur son nom propre et sur la seule puissance de ses artistes résidents, un public aussi nombreux et varié. 

The last but not the least, c’est Etereal Structure qui soigne son entrée en scène avec un tonitruant « boum » et sa non moins éclatante modulation. C’est hollywoodien en diable et c’est un Thomas Franco en sonorités inédites qu’on découvre alors, dans une facture aussi parfaite qu’enjouée. 

Dix ans donc, pour un collectif qui, d’année en année, assoit sa légitimité et son savoir-faire. Évidemment on y perd un peu le caractère sauvage et irrévérencieux des origines, mais n’est-ce pas là l’évolution propre à toute maturation ? Dix ans, est-ce l’âge de raison ? L’installation d’un académisme qui guette toute aventure pérenne ? Souhaitons en tout cas à ce collectif caennais dix nouvelles années (au moins) pour nous dévoiler leurs réponses et leurs apports à cette scène electro locale qui aura plus que jamais besoin de folie et de raison pour échapper au risque certain de l’embourgeoisement. 

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