Quand l’univers du dub rencontre le cirque…

Samedi, c’est un peu en dehors des circuits traditionnels qu’il fallait chercher une proposition musicale inédite. Direction donc Tandem, la MJC proche du stade Malherbe. Avec son spectacle Breaking dawn, le groupe Groundswell Bass Dub présentait ses deux formules (gagnantes) d’un même concept : réunir sur scène la féerie du cirque et la lancinante vibration « basse » de la musique dub. Deux versions donc, l’une à 17h, pour les (très ) jeunes enfants et leurs parents, et une autre, vers 21h pour des oiseaux de nuit plus matures. 

Groundswell Bass Dub est un groupe de dub electro de cinq musiciens. J’avoue être assez éloigné de cette musique, qui navigue entre inspiration reggae et envolées de boucles sonores diverses, mais ma curiosité était avant tout piquée par cet improbable mariage entre musiciens et circassiens. 

À 17h, dès les premières notes, un silence complice s’installe dans une salle pleine à craquer de petits bambins. Avec ce public, ça passe ou ça casse, et tout l’enjeu sera de voir si cette proposition musicale, un dub live et fortement teinté de références « adultes » parviendra à séduire et à retenir l’attention des enfants. Fort heureusement, le spectacle, découpé en trois moments, propose un voyage sonore et sensitif qui va mobiliser les oreilles et les yeux.

Pour les oreilles, un quintette parfaitement en harmonie où domine cette ligne de basse si caractéristique du genre. Voir des musiciens produire, sur scène, cette musique permet de mieux comprendre les dialogues complices entre la batterie, les cordes, un clavier qui distille de petites lignes mélodiques bienvenues et enfin un « balanceur » de boucles sonores : des extraits de bande-son, des chants ou plus simplement des bruits dont la répétition commente ou complète les séquences rythmiques. On apprécie ou découvre ce style musical mais le moins qu’on puisse dire c’est que l’énergie maîtrisée du groupe place le (jeune) public dans une communion sympathique et qui justifie l’ensemble de la démarche. 

Là où l’initiative dépasse l’esprit d’un simple concert, c’est dans ce désir de concevoir un spectacle et c’est ici qu’interviennent habilement trois artistes circassiens. Le premier à monter sur scène fait découvrir la magie des bolas, ces antiques lassos à boules détournés depuis longtemps par les jongleurs et attraction incontournable de tout bon « festoche », tendance trance… 

Avec ses bolas à led, le jongleur parvient ( merci la persistance rétinienne) à construire des images en mouvement qui scotchent petits et grands. Avec ses gestes parfaitement calés sur le rythme des musiciens, il occupe la scène avec puissance et modestie à la fois, sans que le cirque bouffe la musique ou l’inverse. Pour introduire ces tableaux, une frêle petite voix enfantine nous livre quelques petites indications sur la frayeur du monde, l’ivresse des voyages et enfin la sérénité intérieure. C’est simple et cela crée une complicité immédiate entre la scène et la salle. 

Pour  « emballer »  le tout, un travail vidéo de Pablo Geleoc ( ancien batteur du groupe) se diffuse sur trois écrans. Navigant entre petits récits mythologiques ( Icare) et voyages ethnographiques, les vidéos reprennent parfois les images des clips du groupe ou surfent habilement sur la peur naïve d’un film de série B hollywoodien des années 50 ( La nuit des tous les mystères -House on haunted Hill ). Des bouts de pistes sonores du film intègrent subtilement l’univers musical du groupe et quand un squelette de pacotille surgit de l’écran on renoue tous, petits et grands, avec l’esprit de la fête foraine ou celui d’un guignol du Luxembourg…

Les perturbations sociales auront empêché la venue d’une danseuse mais le spectacle se tient et reprend du corps avec l’entrée d’une danseuse de pole dance et d’une acrobate sur corde lisse. Là encore, les figures proposées sont en dialogue permanent avec la musique et on oublie très vite la performance pure pour glisser dans la grâce pure de ces moments poétiques. Cinquante minutes de ce mélange bien dosé entre musique, vidéo et cirque mais où domine tout de même la force du dub, cette musique qui lie et unit ici toutes les composantes du spectacle. 

Toute la réussite du spectacle résulte de ce pari initial : renouer avec l’esprit du cirque mais inverser le rapport entre la musique et les numéros de cirque. Avec Breaking dawn, les musiciens ( du cirque ) ne sont plus là pour illustrer mais ils occupent le devant de la scène et c’est par la musique que l’on entre dans la magie des tableaux,  c’est elle qui rythme, structure et distribue les « wouah » des circassiens, et de ce nouveau rapport découle une façon inédite d’entrer dans la dynamique de cette fête foraine 2.0.

À 21 heures, les enfants ne sont plus là, mais l’équipe reste la même. Les variations entre la proposition de l’après-midi et celle du soir sont subtiles, les voix enfantines ont disparu, des morceaux musicaux s’ajoutent et le batteur, Monsieur Loyal improvisé, dialogue ( en mode concert) avec une salle moins pleine mais complice. Je craignais de perdre une partie du plaisir initial du spectacle en retrouvant l’ordre et les numéros de cirque mais les chaises de l’après-midi ont laissé la place à une salle où le public, debout, peut danser, boire, papoter. L’énergie des huit artistes est intacte pour cette deuxième version mais la nuit, le public (adulte), la bière donnent à cette version une nouvelle dimension, celle d’un cabaret poétique, entre nonchalance jamaïcaine et cirque du Soleil sous contrôle rasta…

Que retenir de cette incursion Tandem ? Tout d’abord la belle audace de programmation de cette salle qui redonne, en une journée, ses plus belles lettres de noblesse à l’animation socioculturelle. Un spectacle, professionnel de bout en bout, un public familial ou expert, mais en pleine communion artistique, une musique qui sort de ses clichés sociaux et enfin une nouvelle preuve de la richesse des initiatives culturelles locales. Je ne connaissais pas Groundswell mais quelque chose me dit que si les structures culturelles installées faisaient bien leur travail, elles ne devraient pas passer à côté d’une aussi belle et généreuse proposition. 

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