Un nouveau lieu pour un bel espoir.

Mercredi soir, du côté de la presqu’île, en toute discrétion mais non sans efficacité, on inaugurait officiellement la première véritable saison d’un nouveau lieu de spectacle : le Bal monté ! Un nom poétique et intrigant pour une scène animée par le Bazarnaom.

De ce même Bazarnaom, on conservait le souvenir de la rue des rosiers, un « haut-lieu » de l’underground caennais autogéré par un collectif d’associations et d’artistes-techniciens portés par une fougue militante. Désormais le Bazarnaom occupe un nouveau site, juste après l’Esam et c’est là que se dresse  le Bal monté , un ancien dancing avec parquet en bois (re)monté derrière le hall d’accueil du Bazarnaom.

Devant la porte d’entrée du Bal monté, on ne peut pas ne pas penser à cette salle caennaise mythique, le Tonneau. Même effet demi-lune, entre hangar à bestiaux et garage à la Tati, même urgence aussi, celle d’après-guerre pour le Tonneau, et celle, plus pacifique, de reconstruire au plus vite un espace pour des utopies d’après Covid. De part et d’autre de la salle, à l’extérieur, un très élégant  chemin ( japonais?) donne à la silhouette du bâtiment un aspect minimaliste et brut qui est immédiatement contredit en franchissant la porte. À l’intérieur, ce qui saute aux yeux, c’est cette nostalgie du rideau rouge, cet appel du parquet de bois, ces multiples coins, lounge, cosy, intime, baroque ou campagnard, autant d’invitations à vivre le spectacle, la nuit. S’il fallait décerner un prix à la plus chaleureuse des salles de spectacles caennaises, le Bal montė serait vainqueur par KO, tant il distille immédiatement une chaleur, une intimité presque sensible avec le public. Est-ce le fruit de son histoire passée, un dancing de campagne ? Est-ce le fruit de la dynamique de restauration du Bazarnaom ? Jusqu’à ces deux anges dorés qui, des deux côtés de la scène semblent nous inviter à un petit voyage céleste, aussi futile que nécessaire.

Hier soir donc, pour ouvrir cette saison, le Bazarnaom avait donné les clés du lieu au Tympan, une association ( feu collectif Pan) qui milite activement pour la (sur)vie du jazz. Place donc à Play Own Play, et à son explosif acronyme POP pour nous inviter à une assez belle fusion entre un jazz esprit seventies et les musiques urbaines grâce à l’apport vocal de Jyeuhair, slameur convaincu et convaincant.

Après une première partie en quartet qui nous permet d’entendre des compositions aux titres parfois ironiques, tel ce Prazepam qui fleure bon la déprime sous anxiolytiques, on entre dans le vif du sujet avec l’entrée en scène du chanteur-slameur. Jyeuhair (JER) semble avoir profité de la pause du Covid pour peaufiner des chansons qu’il a retravaillées ici avec le groupe de jazz. La rencontre, pas si improbable que cela, entre des quadra-quinquas tout imprégnés de grilles harmoniques soigneusement balancées et le jeune slameur un peu fougueux fait de belles étincelles. Si, ça et là il subsiste quelques facilités poétiques propre au genre, comme ce « chapitre » qui forcément va rimer avec « pitre », on reste attentif à l’univers tout en nuances du chanteur, loin des rengaines de la loose des cités. Avec lui, on entend une petite parole pleine de doutes et d’incertitudes, une difficulté à entrer dans l’âge de raison, dans un monde fait de certitude et de convenance. La cohabitation avec POP est alors bien plus qu’une trêve espérée. De la puissance mélodique et rythmique du jazz, le chanteur capture et nourrit son énergie propre et ce avec une désinvolture apparente qui donne cette touche « urbaine » mais qui permet aux musiciens de se caler sur des ponts et des silences respectueux des deux univers. On se moque de savoir s’il s’agit de fusion, de dialogue ou d’une simple rencontre musicale. Sur scène, il se dégage une belle énergie et le devant de la scène devient vite un petit dancefloor occupé par une force juvénile qui semble faire plaisir à voir aux « aînés », diplomatiquement en arrière de crainte d’un petit pogo malencontreux. Ce mélange générationnel et culturel est magique, il est devenu si rare dans nos scènes plus officielles !

Pour les trois mois qui viennent, la programmation est bouclée mais le potentiel festif de la salle est tel qu’il y a fort à parier que les sollicitations viendront très vite, en particulier de ce monde « electro » qui pourrait voir en ce lieu un refuge salutaire. Mais cela ne pourra se faire qu’en respectant l’esprit du lieu et de ses animateurs. Au Bazarnaom de passer lentement le relais a de nouvelles folies créatives locales, à la jeunesse de comprendre l’histoire et le respect qu’elle oblige. Si ces deux conditions sont remplies, sans aucun doute ce Bal montė deviendra un « poumon » incontournable et indispensable de notre vie culturelle. 

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