En septembre 2023, pour qui chercherait à avoir un aperçu de l’underground culturel caennais, il n’y a que l’embarras du choix. Pas moins de trois festivals occupent le terrain et vont solliciter ( en partie) le même public : Declic ( quatrième du nom) en ce moment même, Palma festival ( du 20 au 24 septembre) et enfin Morpho 2023 par la Coopérative Chorégraphique (du 22 au 24 septembre).
Effervescence, concurrence, émulation ? les responsables des trois festivals dresseront leur bilan, mais cette conjonction festive illustre surtout le foisonnement artistique qui sévit sur les terres en jachère des grosses institutions culturelles locales.

Declic : le charme discret de l’entre-soi….

Depuis mercredi, c’est donc le festival Declic qui ouvre le bal de ces festivités automnale et c’est avec une table ronde que débutait mercredi, au Sépulcre, Declic.
La diffusion d’un documentaire ARTE consacré aux pionnières de la musique électronique est l’occasion d’une discussion entre les trois artistes invité(e)s : Céline Ohrel ( comédienne et metteuse en scène, Alexandre du Closel ( musicien) et Blank ( dj et musicienne). Le programme nous annonçait une quatrième personnalité mais visiblement absente, sans que l’on sache pourquoi. Annoncée à 18h, la manifestation débutera vers 19h, ce qui, au choix, illustre une certaine nonchalance assumée ou une légèreté de programmation. On pourrait passer sur ce détail si le lendemain, ne se reproduisait pas le même retard avec une manifestation annoncée à 19h et débutant de fait près d’une heure après ….
Le documentaire Arte fait la part belle à des artistes comme Suzanne Ciani ou Laurie Spiegel, connues ou pas par le public présent mercredi. Mais les noms de ces pionnières permettra à Alexandre du Closel de rappeler certaines vérités historiques ou artistiques et mieux encore de les placer en illustration de son propre travail que l’on pouvait découvrir le lendemain. Céline Ohrel ; à juste titre, commente et souligne la cohérence sociale des pionnières présentées dans le documentaire ( très CSP+) et nous invite à sortir d’une lecture purement « genrée », vite rejointe par Blank dans un souci commun de ne pas rester bloqué sur une approche exclusivement féministe. La discussion est agréable, pertinente et on se dit que le petit groupe venu y assister est complice des problématiques  et plus encore, respectueux des démarches artistiques exposées.
Paradoxalement, la dernière partie de la soirée, avec le set « féministe » de Blank, ne profitera pas de la même attention ( du même respect), et c’est dans une indifférence polie qu’elle lancera ses petites pépites musicales, de Laurie Anderson à Louisahhh pourtant très finement agencées. Dans un bar mainstream qui vend de la bière, on pourrait comprendre mais dans un festival « pointue », je peine encore ( et toujours) à comprendre cette forme mondaine de mépris devant la prestation d’un(e) artiste, même en mode dj-set !
Le lendemain, c’est dans l’église du vieux Saint-Sauveur que débute réellement le festival avec une création produite par Declic : Moon Harbisson. Vers 20 donc ( et non 19h, je suis vieux donc je radote), deux musiciens (clavier et guitare électrique) installent un plaisant tapis sonore, un peu entre Ry Cooder et (parfois ) Steve Lacy. Sans aucun doute possible, le grand et voluptueux far-west commence à dévoiler son charme et c’est presque naturellement qu’une présence graphique ( un dessinateur en live) projette sur l’écran des aquarelles aux tonalités de feux de camp testostéronés par de belles silhouettes à peine esquissées de cow-boys. Les voix des deux musiciens, en écho et parfois en duel, laissent échapper des mélopées plaintives qui se refusent à toutes paroles. Le dispositif est efficace et ce dialogue poétique entre image et musique fonctionne pour peu que l’on soit sensible aux longues litanies.
Dans un registre beaucoup plus enthousiasmant pour ma part, la venue sur scène du quatuor Why patterns ?, dirigé par Alexandre du Closel, marquera sans conteste le premier temps fort de ce festival. Le lieu ( saint sauveur), la musique ( spectrale et brutale) donnaient à l’ensemble une idée du gros festival Musica ( Strasbourg), connu pour sa capacité à produire des expériences musicales « choc » dans des lieux inédits. Les deux premières pièces proposées par Why Patterns ? fonctionnent comme des hommages assumés ( et annoncés à Ciani et Speigel). Sur une boucle rythmique obsédante et insidieuse à la fois deux saxophones se lancent dans de ténébreuses plaintes autour de quelques pauvres notes qui n’en deviennent que plus impériales. On voyage dans le son, dans l’architecture même de la courbe sonore qui se développe avec une force de plus en plus martiale : ça gronde, ça hurle, ça mugit et ça pleure et le tout résonne avec majesté dans cette église, temple d’un culte sonore qui nous invite à l’extase. Quarante trop courtes minutes de bonheur intense et rien que pour cet événement ( à lire avec toutes les majuscules), merci Declic !

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